Amah Association

Colloque Une Seule Violence, Paris, 17 mars 2023

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Le colloque Une Seule Violence a été organisé en collaboration avec Nantes Université par une équipe scientifique pluridisciplinaire rassemblée par le sénateur Arnaud Bazin, vétérinaire de formation, qui en a été à l’origine. Trois membres de l’AMAH s’y sont exprimés, les Dre vétérinaires Dominique Autier-Dérian et Anne-Claire Gagnon, ainsi que le Professeur de droit Jacques Leroy. Le replay de l’ensemble du colloque est disponible ici

Une journée de partages des expériences et savoirs

Le colloque a rassemblé plus de 300 participants, à la maison du Barreau, à Paris le 17 mars, autour des témoignages du terrain et des points de synthèse scientifiques, vétérinaires, psychologiques et juridiques. Au total, trente-deux personnalités représentant vingt disciplines ont apporté un éclairage global sur des situations souvent ignorées des professionnels de santé, comme les généralistes, ou sous-estimées, voire considérées comme non-essentielles (comparées aux drames humains) par certains pénalistes, entre autres, et toujours traitées de manière distincte, en silo.

Or les données scientifiques comme les témoignages des forces de gendarmerie, de police, des associations de protection animale, des vétérinaires, des assistantes familiales, sociales, des enseignant.e.s, associations de protection des femmes et de l’enfance, le montrent : il est fréquent que les violences domestiques, contre les êtres vulnérables et les animaux de compagnie, se produisent en même temps ou que les unes précèdent les autres. C’est la raison pour laquelle détecter des violences perpétrées dans un foyer permet d’en prévenir d’autres.

«  Quand un animal est maltraité au sein du foyer, un enfant et  sa mère sont en danger.

Quand un enfant et/ou sa mère sont maltraités dans leur foyer, un animal est en danger. »

Des témoignages convergents

Les gendarmes ou policiers sont amenés à voir les victimes collatérales des violences conjugales avec les chats et les chiens, qui peuvent être victimes et/ou témoins des violences commises. « L’animal est sensible à l’atmosphère agressive, même s’il ne reçoit pas de coups ; l’anxiété qu’il ressent est une violence et une blessure psychologiques » a témoigné Vincent Fernandez, officier de police judiciaire. Les infirmières et assistantes sociales constatent dans le cadre de leur travail que des mauvais traitements sur les animaux vont souvent de pair avec des états d’éthylisme chronique, de misère économique, dans un contexte de violences conjugales. Les instituteurs voient aussi leurs répercussions sur les enfants dont le niveau scolaire est bas, vivant dans des familles dont l’entourage connaît la détresse sans en parler, laissant ainsi un enfant se livrer à des conduites à risque (manipuler des tronçonneuses, conduire sans permis) et dont le chien est mort de faim et de froid. Toutes et tous ont dit leur impuissance et frustration à faire évoluer les choses, lorsqu’elles et ils déclarent les faits à leur hiérarchie (Aide Sociale à l’Enfance/ Éducation Nationale) alors que ce sont les Cellules de Recueil des Informations Préoccupantes qui sont seules compétentes en la matière.

Et des faits de zoophilie au sein des familles

Martine Brousse, Présidente de la Voix de l’Enfant, a rapporté certains des faits actuellement jugés au tribunal de Bobigny, où un enfant de 5 ans a été victime de zoophilie du fait des agissements de son père. Le signalement et la lutte contre la pédophilie et la zoophilie demandent du courage et la coordination de tous les services de protection de l’enfance, en cessant de travailler « en silo ». « Il est nécessaire d’avoir une approche globale et pluridisciplinaire des violences faites aux animaux et aux enfants, aux enfants et aux animaux ».

Réquisitionnée par des gendarmes, Stéphanie Coupel, vétérinaire généraliste, a dû effectuer des prélèvements sur le chien que le mari avait utilisé pour violer sa femme. Elle a témoigné de son émotion, à rencontrer les deux victimes, la femme et le chien de compagnie, encadrées par les gendarmes, pour la réalisation d’un acte de médecine légale vétérinaire qui n’est pas couramment enseigné. Elle constate aussi au quotidien les violences économiques dont certaines femmes sont victimes, demandant par exemple l’euthanasie d’une vieille chatte dont les 8 griffes s’étaient incarnées dans les 8 coussinets. Elle a sursis à l’euthanasie, soigné la chatte et permis à sa propriétaire de confier sa honte d’être réduite à une telle situation.

Me Eva Souplet traite régulièrement de dossiers dans lesquels les faits de maltraitances commis à l’encontre d’un animal l’ont été en représailles suite à un conflit conjugal. Elle aimerait que les enquêtes soient l’occasion de chercher à savoir si les personnes du foyer ne subissent pas elles aussi des violences. Cette même démarche devrait être faite également lorsque l’enquête concerne des violences contre des personnes afin de connaître les conditions de vie des animaux détenus par la famille. Pour elle, le cloisonnement des procédures est un frein indispensable à surmonter.

Une violence très humaine

Si la primatologue Shelly Masi (MNHN) a précisé la distinction entre violence (majoritairement humaine) et agression, courante chez les Primates, l’historienne Marylène Patou-Mathis (CNRS/MNHN) a relevé les premières traces de violence lors de cannibalisme, qui est une pratique rare, puis des scènes de guerre lors du passage à la sédentarisation, la domestication, la notion de propriété, les activités de chasse (arc, archer). Cette violence a connu une montée exponentielle avec l’arrivée du métal, où les divinités féminines liées à la Terre et la nature ont été remplacées par des divinités masculines. Chez les peuples racines, a précisé Marylène Patou-Mathis, il n’y a pas de hiérarchie entre les animaux et les humains. Dans notre civilisation, il faut casser le système de la domination et le poids de la culture.

Carole Azuar, neurologue, a présenté les conséquences sur le cerveau du stress lié à la violence qui expliquent les réactions comme l’inhibition, la perte de mémoire et le syndrome post-traumatique. Elle a précisé que le stress aigu et chronique impacte le cortex frontal, qui est inhibé au profit du cerveau limbique, au détriment du contrôle cognitif et émotionnel. Les hippocampes, dont les récepteurs aux corticoïdes se trouvent saturés, sont alors court-circuités au profit de l’amygdale, au détriment de la mémoire épisodique et spatiale. La mémoire traumatique s’enregistre alors dans l’amygdale, d’où elle s’échappe par flash, de façon involontaire. L’atrophie des hippocampes, du cortex frontal et de l’insula constituent des lésions traumatiques émotionnelles. Les troubles métaboliques du lobe frontal pourraient récupérer grâce à l’EMDR (Eye Mouvement Desensibilisation and Reprocessing, technique de  désensibilisation et retraitement de l’information par les mouvements oculaires). 

Une préoccupation ancienne, des publications récentes

Si depuis l’Antiquité nous savons que la violence engendre la violence, qui est également terriblement contagieuse, son étude au sein des foyers et les liens entre les personnes sur lesquelles elle s’exerce est assez récente.

Elle a fait l’objet d’études et d’un intérêt croissant depuis ces cinq dernières décennies. Cette question est surtout prise en compte aux États-Unis, aussi bien au niveau d’instances fédérales supérieures comme le FBI qu’au niveau d’instances de terrain comme les shérifs dans les comtés. Elle est présente par ailleurs surtout dans les pays anglo-saxons (Canada, Australie, Grande-Bretagne) et elle perce dans un certain nombre d’autres pays, mais encore trop peu en  France.

Pour ne prendre qu’un exemple, le Grenelle contre les violences conjugales qui s’est déroulé en 2019 n’a malheureusement pas abordé la question des violences sur les animaux familiers.

Cependant, des colloques comme celui-ci montrent qu’en France, un certain nombre de professionnels de terrain ainsi que d’universitaires ont conscience de cette problématique. Le psychiatre Jean-Paul Richier a souligné l’importance du nombre et de la qualité des études sur le sujet du lien entre les violences envers les animaux et les violences envers les humains. On a donc à présent, pour donner un ordre d’idée, autour de 150 études publiées dans des revues scientifiques, autour de 130 si on rassemble les études portant sur les mêmes échantillons de population. 

Environ la moitié de ces études abordent un point de vue qu’on pourrait dire criminologique, ou socio-psychologique : elles analysent les facteurs liés à la maltraitance animale en termes de comportements associés, d’antécédents, de traits psychologiques. Elles démontrent ainsi le lien entre les actes de violences sur animaux et les infractions en général de toutes gravités, ainsi que le lien avec les conduites agressives et les infractions violentes, et pour quelques études avec les agressions sexuelles. Certaines études abordent aussi la question des tueurs en série ou des tueurs de masse.

Et l’autre moitié de ces études examinent les violences intra-familiales, elles analysent les tenants et les aboutissants directs ou indirects sur les femmes et les enfants des maltraitances envers les animaux. Elles montrent que, dans le cadre d’un foyer, il y a volontiers des associations entre :

. la maltraitance d’une femme par son partenaire et la maltraitance d’animaux familiers par le partenaire,

. la maltraitance d’une femme par son partenaire et la maltraitance d’animaux familiers par l’enfant,

. la maltraitance d’un enfant par un parent et la maltraitance d’animaux familiers par le parent,

. la maltraitance d’un enfant  et la maltraitance d’animaux familiers par l’enfant.

Une douzaine de ces études, en provenance de pays variés, concernent le harcèlement et les violences scolaires, comme l’étude française du Professeur Laurent Bègue-Shankland, conduite sur plus de 12.000 adolescents en 2019.  Cette étude opérée dans le cadre de l’enquête « Blitz » montre que 7% des adolescents disent avoir fait mal ou blessé un animal volontairement (en présence d’un adulte dans 20% des cas). Un peu moins de 20% des adolescents dans cette étude ont reconnu avoir fait subir des brimades, parfois à plusieurs reprises, à leurs camarades. La violence sur animaux est plus souvent le fait des garçons que des filles, comme c’est le cas dans toutes les études. Le lien entre la violence sur animaux et les conduites de harcèlement est établi dans cette étude, rejoignant les résultats des études précédentes. 

Maltraitance animale : une possibilité diagnostique récente

Le Dre vétérinaire Dominique Autier-Dérian (comportementaliste, PhD en bien-être animal) a souligné l’absence de définition juridique de la maltraitance, qui est différente pour chaque espèce animale (celle faite aux animaux sauvages étant très peu considérée). De la même façon, rien ne précise la définition d’un état mental altéré chez l’animal. Contrairement à la médecine légale humaine, on ne dispose pas non plus en médecine légale vétérinaire de grading des ecchymoses, la présence de poils compliquant leur visualisation. Grâce aux travaux de la vétérinaire Helen Munro, la maltraitance animale est devenue une possibilité diagnostique depuis le début des années 2000.

Les principales maltraitances sont les négligences, suivies par les abus physiques (trauma intentionnels). Les abus sexuels plus fréquents chez le cheval et le chien, existent chez les poulets, le chat, les moutons. Les abus psychologiques sont rarement infligés seuls. Parmi les signes cliniques à connaître, l’agression impulsive dont fait preuve un chien victime d’un stress post-traumatique est importante. Dominique Autier-Dérian a rappelé que le secret professionnel existe entre les membres des professions de santé, ce qui n’aide ni les victimes ni la prévention des violences.

Philip Jaffé (Vice-président du Comité des Droits de l’enfant aux Nations-Unies) a souligné combien les violences enfantines font le lit des violences de l’adulte. Tous les enfants sont à risque d’apprendre à devenir violents, surtout ceux présentant des traits dits « callous-unemotional », c’est-à-dire une indifférence morale et affective. Ainsi, il dénonce l’impact de la violence contre les animaux en présence d’un enfant en plein développement mental, qui observe, subit, et peut reproduire ces comportements violents.

Des regards juridiques croisés

Au Parlement européen, la notion du LIEN et d’une seule violence n’ont pas fait l’objet de discussion, selon l’eurodéputé François-Xavier Bellamy. La Directive sur les violences domestiques sera l’occasion de l’évoquer et d’espérer entraver la zoopornographie, que la Comité mixte a tolérée. 

Le sénateur Arnaud Bazin a rappelé que les animaux du foyer « sont à la fois victimes et également un moyen de pression et de chantage pour l’auteur des violences qui peut menacer de représailles sur l’animal et renforcer ainsi son emprise et son harcèlement sur la victime ». Il a précisé avoir tenté de faire adopter le 5 octobre 2022 deux amendements dans le cadre du projet de loi Orientation et programmation du ministère de l’Intérieur. Il s’agissait de « viser à élargir les conditions de déclenchement des ordonnances de protection des victimes de violences intrafamiliales en incluant les violences sur les animaux de compagnie du foyer comme un indicateur supplémentaire révélateur d’un contexte de violence au sein du foyer ». Le second amendement proposait que, comme en Espagne, le juge puisse se prononcer sur l’attribution de la garde de l’animal, indépendamment de la propriété et ce, afin que les victimes ne se sentent pas contraintes de rester en raison de menaces ou de violences pouvant s’exercer à l’encontre de leur animal. Les parlementaires n’ont pas validé ces amendements, certains s’élevant contre l’amalgame entre les humains et les animaux. 

Un seul foyer et un seul guichet de réception des plaintes pour violences intra-familiales

L’avocate Arielle Moreau, avocate au Barreau de Saint-Pierre de la Réunion, a insisté sur la nécessaire protection de la cellule familiale (la mère, les enfants et les animaux de compagnie) et sur la globalisation des plaintes humaines et animales avec un seul Parquet. « C’est la violence que l’on condamne et leurs auteurs, pas en fonction des victimes » a-t-elle plaidé.

Depuis 2007, les CRIP (Cellule départementale de Recueil des Informations Préoccupantes) recueillent, traitent et évaluent les signalements et information préoccupantes concernant des mineurs en danger (art L.221.1 et L.226.3 du Code de l’action sociale et des familles). La loi dite maltraitance de novembre 2021 a introduit deux obligations d’évaluation de la situation d’un mineur : en cas de condamnation pour maltraitance animale et en cas de signalement par une association de protection animale (APA). Les responsables des CRIP sont conscients de la complexité de la mise en œuvre de ces nouvelles dispositions qu’ils ont découvertes récemment et sans qu’aucune instruction officielle soit venue préciser la mise en pratique notamment la transmission des informations concernant les condamnations. À ce jour, dans le  Val d’Oise, par exemple, les personnels de la CRIP n’ont reçu aucun signalement d’APA, qu’ils invitent à les contacter.   

https://www.amah-asso.org/carte/

Quel contexte juridique ?

Si « Une seule violence » est une notion qui exprime une réalité philosophique, sociologique, anthropologique et médicale, correspond-elle à une réalité juridique ? Est-il possible de relier ces deux modes d’expression de la violence, à la fois contre les animaux et contre les êtres humains, dans un seul ensemble, de les « globaliser » en quelque sorte et de faire d’une seule violence une notion juridique ? Le fait qu’à l’époque contemporaine l’animal de compagnie entre dans les foyers et devient bien souvent un véritable membre de la famille au même titre qu’un enfant appelle une réponse qui ne peut être différée.  Cette vision anthropomorphique des rapports que l’homme est capable d’entretenir avec un animal très proche de lui, bon nombre de familles y ont cédé depuis longtemps.

Le problème est que la différence irréductible de nature entre l’être humain et l’animal, au-delà de leur caractère commun « d’être vivant doué de sensibilité », fait que leur protection juridique a toujours été envisagée dans des sphères distinctes.

S’agissant des violences conjugales ou contre les enfants principalement, dénommées violences intra-familiales, nous savons que la lutte contre de telles violences est déjà bien ancrée dans notre société, surtout depuis ces dernières années. Les dispositions législatives s’accumulent, permettant d’ailleurs de faire surgir certaines définitions comme celle de maltraitance à propos de l’application des dispositions du Code de l’action sociale et de la famille (v° art. L.119-2 introduit par une loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants).

Pour ce qui concerne les violences contre les animaux, l’éveil des consciences à la fois dans la société et au niveau législatif est, en revanche, plus récent. 

Deux textes sont particulièrement marquants : d’abord, la loi du 16 février 2015 qui est à l’origine du fameux article 515-14 du Code civil selon lequel « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité ».  Cette reconnaissance concerne désormais tous les animaux, sauvages ou domestiques, ce qui n’était pas le cas antérieurement, la qualité « d’être sensible » consacré par le Code rural ne s’appliquant qu’aux animaux d’élevage. En outre, ce qui n’est pas le moindre intérêt de la loi, le législateur exclut l’animal de la catégorie des biens, même si, faute de bénéficier d’un statut propre, il reste soumis, à titre fictionnel, au régime des biens.

Ensuite, la loi du 30 novembre 2021 qui, d’une part, entre autres mesures, accroît la protection pénale de l’animal contre les actes de maltraitance et, d’autre part, selon l’intitulé de la loi, entend prendre en considération « le lien entre les animaux et les hommes » et situer l’ensemble du dispositif législatif dans une relation homme-animal. Le régime juridique applicable aux animaux doit, en effet, se définir en fonction du type de relations que l’être humain entretient avec les animaux selon leur degré proximité (animaux sauvages, d’élevage, de compagnie) ; mais la loi invite aussi à associer les violences humaine et animale lorsqu’elles se développent dans un même cercle familial. Sur ce point, il y a quelques avancées indiscutables : la possibilité, par exemple, pour les vétérinaires de lever le secret professionnel et de signaler au  procureur de la République les actes de maltraitance constatés dans l’exercice de leur activité professionnelle ; la mission attribuée au service de l’aide sociale  à l’enfance de repérer  et d’orienter  les mineurs condamnés pour maltraitance animale ou dont les responsables ont été condamnés pour ces mêmes actes  ; l’évaluation de la situation du mineur mis en cause pour sévices graves et actes de cruauté ou atteinte sexuelle sur un animal à la suite de la notification  de cette  mise en cause à la cellule de recueil des informations préoccupantes  par une fondation ou  une association de protection animale reconnue d’intérêt général  ; l’inscription au fichier des personnes recherchées des personnes interdites de détention d’un animal ; la  création  de circonstances aggravantes lorsque l’infraction est commise en présence d’un mineur ; la possibilité pour les enquêteurs, agissant  dans le cadre de l’enquête préliminaire, de procéder à des visites domiciliaires avec l’autorisation du juge des libertés et de la détention, cela à raison du passage de la peine d’emprisonnement en cas d’actes de cruauté ou de sévices graves commis sur un animal de 2 à 3 ans.

Tenter des réformes, en comprendre les freins

Peut-on aller plus loin ? La réponse est évidemment oui. D’où la tentative, infructueuse pour l’instant, de M. le sénateur Arnaud Bazin, avec le concours d’associations, d’amender le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur, devenu depuis la loi du 24 janvier 2023, pour ce qui concernait ses dispositions sur les violences intra-familiales. Les amendements visaient à modifier les textes du Code civil sur l’ordonnance de protection pouvant être ordonnée par le juge des affaires familiales en cas de violences au sein d’un couple mettant en danger la personne qui en est victime ou les enfants de façon à tenir compte également des animaux de compagnie détenu au foyer. Il s’agissait aussi d’autoriser le juge aux affaires familiales à statuer sur le sort de ces animaux.

Le rejet de ces amendements, qui pourrait être interprété comme une minimisation de la délinquance familiale par le législateur lorsqu’elle vise les animaux de compagnie vivant au foyer, traduit surtout la réticence des sénateurs à passer outre au risque de confusion entre l’homme et l’animal en raison de l’alignement dans un même texte de deux violences différentes. En vérité, l’amélioration de la condition animale se heurte toujours au même argument soulevé par ceux qui considèrent que le législateur en a déjà trop fait : la peur viscérale que l’être humain puisse être mis sur le même plan que l’animal ; le risque de brouiller la hiérarchie des valeurs et que l’homme ne soit plus un être supérieur à l’animal. C’est un argument que nous retrouvons avec la question de la reconnaissance de la personnalité juridique à l’animal, réduite d’ailleurs pour la plupart des opposants à une question de sémantique : l’identification de l’usage juridique d’une notion, par exemple la notion de « personne », à son usage dans le langage commun afin de la rejeter à cause de la confusion des genres qui en résulte.

Des initiatives juridiques remarquables localement

De lege lata, peut-on, d’ores et déjà, sans toucher à la loi, améliorer la situation ? Les propos de M. Franck Rastoul, procureur général près la Cour d’appel de Toulouse, de M. Christophe Amunzateguy, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Saint-Gaudens et de M. Clément Bergère-Mestrinaro, président du tribunal judiciaire de Sens, rassurent : il est possible, avec les outils procéduraux offerts déjà par la loi, de développer les actions de prévention et d’utiliser toutes les voies de droit pour mieux poursuivre les actes de violences visant les animaux du foyer. La répression ne peut pas être la seule solution. A cet égard la création du pôle « Environnement et maltraitance animale » à la Cour d’appel de Toulouse permet d’apporter une réponse judiciaire plus rapide.  Cela dit, la réponse ne devrait pas être exclusivement entre les mains des parquets qui devraient pouvoir bénéficier d’assistants spécialisés dans ce contentieux très particulier qu’est celui   de la maltraitance animale.  Les barreaux doivent également être sensibilisés à cette maltraitance, comme l’a rappelé Me Arielle Moreau.

Comment rendre les signalements plus efficaces

Le parcours de signalement ne doit pas être celui du combattant pour la victime, ni pour le témoin ou le professionnel qui a connaissance de faits. Or, certaines particularités judiciaires compliquent la circulation des informations préoccupantes (CRIP) et signalements (Procureurs). Ainsi Andréa Solari, de l’Institut du Psychotraumatisme de l’Enfant et de l’Adolescent, Accompagnement et Soins, Formation et Recherche, a constaté que selon  que les faits de violence au sein d’une même famille visaient les animaux ou les enfants, les adresses email pour signaler au même Procureur étaient différentes…Par ailleurs, comme le pédopsychiatre Jean-Marc Ben Kemoun l’a souligné, la révélation spontanée des faits est rare, la recherche de la maltraitance nécessite donc un questionnement systématique, comme les recommandations de la HAS le spécifient. C’est important également pour tout professionnel de santé de se renseigner sur la présence d’animaux au foyer de sa patiente.

En signalant, les professionnels ne dénoncent pas, ils font leur travail d’alerteur de l’autorité judiciaire sur la base de faits alarmants :  l’enfant a brutalement cessé de jouer, il a des phobies, il mord, des signes cliniques pouvant s’appliquer également à un animal de compagnie, puisque 70 % de la clinique est non-verbale. Par ailleurs, l’animal peut être utilisé par l’agresseur comme moyen de pression, de chantage voire de représailles. Si tu ne fais pas ceci, je lui fais mal, je le frappe, je le tue.

Enfin, l’enfant étant à la maison, donc au contact direct de son agresseur, il y a souvent urgence à déclarer/signaler. L’animal de compagnie étant un membre de la famille, il serait logique et efficace d’avoir un guichet unique, un parquet pour les mineurs et êtres vulnérables, permettant de déclarer le foyer en danger.

Enjeux de santé publique

En cas d’animal en danger, l’instance compétente pour le vétérinaire est la DDPP, à laquelle il adresse son signalement en renseignant les éléments confiés par le détenteur de l’animal.  Il peut établir un certificat factuel, à la demande du détenteur. Dans la pratique, le manque cruel de moyens humains oblige les inspecteurs vétérinaires à des cas de conscience sur leurs priorités.  Si l’intervention des Services vétérinaires révèle d’autres violences domestiques, les inspecteurs vétérinaires le signalent à leurs homologues des services sociaux et de la santé.

Lorsque les faits constatés par le vétérinaire praticien sont des sévices graves, des actes de cruauté, des atteintes sexuelles sur animal ou des mauvais traitements, il est autorisé à lever le secret professionnel et à les signaler au Procureur (avec copie à la DDPP). En tant que témoin sachant, le praticien peut être mandaté comme expert ultérieurement. Une fois l’affaire entre les mains de la DDPP et du Procureur, le secret de l’instruction s’applique jusqu’à la clôture de l’enquête. 

Les enquêtes conduites auprès des praticiens vétérinaires, en France, en Belgique et aux États-Unis montrent les mêmes craintes des vétérinaires à signaler les faits, surtout en raison d’un manque cruel de formation sur la discipline et d’informations sur les procédures. 

Entendre et prendre au sérieux la parole de l’enfant

Marie-Laure Laprade (enseignante 1er degré, cofondatrice de l’association Éducation Éthique Animale) a souligné le manque de formation et de préparation des enseignants du primaire lorsqu’elles et ils sont confronté.e.s à la parole spontanée de l’enfant – « Papa, il a jeté le chat contre le mur » -, qui teste avec sa maîtresse si les faits qu’il a vus sont normaux ou pas. Lorsqu’un enfant parle, l’enseignant.e ne doit pas minimiser les faits, sous prétexte de sensiblerie exagérée.  Selon les départements toutes les CRIP ne réagissent pas de la même façon aux signalements qu’elles reçoivent, par méconnaissance du LIEN entre les violences. Or les enseignants peuvent apprendre que l’animal de l’enfant est menacé par un agresseur au sein du foyer ou constater que l’enfant est lui-même violent avec les animaux, toutes informations importantes. Les enfants parlent plus facilement des violences faites aux animaux de la famille que des violences sur les personnes, a précisé Marie-Laure Laprade. C’est pourquoi, il convient de ne pas négliger ces paroles, notamment à l’école.

Ce que l’animal dit du foyer où il réside

Françoise Brié, Directrice de la ligne d’appel 3919 qui reçoit plus de 90.000 appels par an, a expliqué que jusque là les violences (ou menaces) faites aux animaux n’étaient pas systématiquement renseignées. D’autant que la présence de sévices ou tortures d’animaux est clairement, selon son expérience, un facteur de risque de féminicide. La question animale va donc être ajoutée à la grille des appelants. Lors d’emprise, pouvoir conserver la garde de l’animal de compagnie est souvent difficile et les centres d’hébergement ne sont pas équipés pour les accueillir. En ce sens, l’éviction du conjoint violent résoudrait la question (sauf dans les cas où il faut mettre les victimes en sécurité et les cacher). Françoise Brié a appelé les vétérinaires à faire du repérage sur l’emprise subie par les propriétaires d’animaux pour les orienter vers les associations de défense des femmes.

Romy Turpin (Fondation Brigitte Bardot) a témoigné des situations d’urgence auxquelles la FBB est souvent confrontée, réclamant souvent une aide matérielle, sociale et beaucoup de bonne volonté pour venir en aide à des personnes qui sont moins maltraitantes que dépassées par les besoins des animaux et incapables d’y subvenir.

Céline Gardel, capitaine de gendarmerie et présidente de l’association Les 4 pattounes intervient avec cette association pour sensibiliser les enfants au respect de l’animal, du CP à la Seconde, et pour former ses collègues dans la gendarmerie et la police.

Enfin, la zoophilie et zoopornographie doivent être vigoureusement dénoncées, signalées et combattues, puisque d’après les affaires relayées par la presse régionale ces dernières années, environ deux tiers des cas de zoophilie ou de zoopornographie concernent également des cas de pédophilie ou pédopornographie, selon Benoit Thomé, président d’Animal Cross. 

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Perspectives pour mieux repérer et prévenir les violences domestiques

Le pédopsychiatre Jean-Marc Ben Kemoun a souligné que la parentalité bien-traitante permet de répondre aux besoins de l’enfant pour se développer. « Être avec un animal, c’est apprendre l’humanité ». Il est donc important dès l’enfance de favoriser une éducation à l’empathie, à la compassion et au contrôle de la violence, à la fois envers ses semblables et envers les animaux sensibles a précisé le psychiatre Jean-Paul Richier lors de la conclusion. C’est bien sûr durant l’enfance et l’adolescence que se construisent les êtres humains.

Il est important de sensibiliser et de former les professionnels, à la fois dans le cadre des études initiales et de la formation continue :

  • au lien entre les violences,
  • au repérage des mauvais traitements, qu’il s’agisse des humains, bien entendu, ou des animaux, ainsi qu’au recueil de la parole,
  • et aux procédures et aux parcours du signalement ou d’information préoccupante, en prenant en compte les nombreux facteurs qui peuvent rendre difficile et être des freins à une démarche de signalement, outre le principe du secret professionnel. En commençant par faciliter et simplifier l’identification des contacts pertinents et de leurs coordonnées.


L’ensemble des formations concerne les professionnels de nombreux domaines, comme ceux qui ont donc participé à cette journée : les professionnels de  santé (infirmier, aides-soignants, médecins, dont les pédiatres et les pédopsychiatres, etc…), les psychologues, les professionnels de l’action sociale (assistantes sociales, éducateurs, auxiliaires de vie, intervenants de l’Aide Sociale à l’Enfance,…), les professionnels de l’éducation nationale (enseignants, directeurs, personnels de santé, psychologues…), les vétérinaires et leurs assistants, et aussi bien sûr les différentes branches de la police et de la gendarmerie, et les différentes branches de la magistrature, ainsi que les membres du barreau. Enfin, les associations, aussi bien les associations de protection animale que les associations de protection des enfants et les associations dédiées aux violences faites aux femmes, souvent les premières à intervenir, doivent également être formées. En définitive, cette question concerne tous les citoyens.

De lege ferenda, quelles sont les orientations à privilégier pour mieux lutter contre les violences intra-familiales incluant celles contre les animaux ?

Il faudrait d’abord reprendre, à la faveur de la discussion d’une future loi sur la justice, les amendements cités précédemment sur l’ordonnance de protection, a commenté le Pr. de droit Jacques Leroy, vice-président d’AMAH. 

Il conviendrait aussi d’assimiler au titre des violences psychologiques commises sur une personne les actes de violences sur un animal de compagnie détenu par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ; de même que les propos ou comportements à l’encontre d’un animal de compagnie ayant pour objet ou pour effet de créer à l’encontre du conjoint, du concubin ou du partenaire lié par un pacte civil de solidarité une situation intimidante , hostile ou offensante devraient  donner lieu aux peines prévues pour le harcèlement moral.

D’autres mesures pourraient être prises :  élargir les institutions ou autorités pouvant notifier  les actes de cruauté ou sévices graves à l’encontre d’un animal de compagnie vivant au foyer à la cellule de recueil des informations préoccupantes aux fins d’évaluation de la situation du mineur en danger ; permettre l’inscription au fichier des personnes recherchées les personnes condamnées à la confiscation de l’animal ; substituer la notion de « retrait » à celle de confiscation qui ne vise que le propriétaire de l’animal. Le retrait pourrait s’appliquer à ceux qui ont la responsabilité de l’entretien de l’animal. En outre, la sanction irait dans le sens d’un désengagement du statut de l’animal du régime des biens (certains textes du Code rural et de la pêche maritime ou du Code de procédure pénale utilisent déjà ce terme : art. L214-23, II CRPM ou art. 99-1 CPP). Enfin, il serait de bon aloi de revoir l’échelle des qualifications applicables à la maltraitance animale, la plupart d’entre elles étant des contraventions dont la plus élevée est de quatrième classe depuis que l’atteinte volontaire à la vie de l’animal, initialement contravention de cinquième classe, est devenue un délit (art. 522-1 CP). A cet égard, il serait judicieux d’abroger l’article R 655-1 qui n’a plus de raison d’être, un même fait ne pouvant à la fois être un délit et une contravention.

Toutes ces réformes sont à portée de main. Il suffit seulement que le législateur veuille saisir la main tendue, a conclu le Professeur de droit Jacques Leroy.

Mieux former et informer l’ensemble des professionnels au LIEN

Parmi les points à améliorer rapidement, le Dre vétérinaire Anne-Claire, présidente fondatrice d’AMAH, a souligné la nécessité, dans le cadre de l’égalité des femmes et des hommes, de la formation obligatoire des équipes vétérinaires, au même titre que tous les autres professionnels de santé, sur les violences intrafamiliales, les violences faites aux femmes ainsi que les mécanismes d’emprise psychologique puisque les équipes vétérinaires sont susceptibles d’être en contact avec des femmes victimes de violences. (loi n°2014-873 du 4 août 2014 – art. 51).

De même qu’il est recommandé par la Haute Autorité de Santé et la MIPROF, le questionnement systématique paraît pertinent pour les vétérinaires, particulièrement lors de la visite dite Mordeur/griffeur. En effet, les chats et les chiens victimes de maltraitance ou témoins des violences infligées à leur maîtresse et/ou aux enfants de la famille peuvent mordre l’agresseur, pour se défendre ou les défendre, voire être dressés par l’agresseur. La possibilité de la violence intra-familiale doit donc être évoquée par une simple question. « Tout va bien à la maison ? Votre chien, votre chat est-il parfois puni ? Frappé, blessé ? ».

La formation et l’information, sans frontières entre les médecines, humaine et vétérinaire, doit permettre à tous les professionnels de la santé, aux côtés des professionnels de l’éducation, du droit et du maintien de l’ordre public de savoir qu’ensemble, avec les associations, elles et ils prennent en charge une seule et même violence au sein des foyers. Ainsi, avec la vigilance bienveillante de l’entourage, qui ne doit pas hésiter à appeler le 3919 ou le 119 s’il a des doutes sur la situation dont il est témoin, nous pourrons toutes et tous ensemble protéger la cellule familiale, humains et animaux, animaux et humains, et être des artisans et bâtisseurs de paix.